«À la conquête du Mexique», quand Hernan Cortès donne sa version des faits
Qui mieux que Hernan Cortès peut raconter la conquête du Mexique ? Ces lettres à la Cour d’Espagne sont retranscrites dans un livre paru aux Éditions Voilier Rouge. De quoi se faire une idée du personnage, mais attention, il faut lire entre les lignes…

Tout est parti… d’un bateau. Un navire dans lequel embarqua Hernan Cortès et ses troupes. De l’Espagne à Cuba. Puis de Cuba au Mexique. C’est aussi de son voilier dans lequel il habitait à l’époque, qu’est venue l’inspiration à Rémi Blanchet, créateur des Éditions Voilier Rouge, de publier les lettres de Cortès à la Cour d’Espagne.
«Je vivais encore à bord de mon voilier qui se trouvait dans les Antilles. Nous nous demandions, si nous n’irions pas jeter un coup d’œil du côté du Mexique… Je me suis donc penché sur quelques récits d’histoire à ce sujet.» De là, a germé l’idée de redonner vie au récit du conquistador, dans une version contemporaine.
«C’était une histoire d’aventure passionnante, mais qui présentait des longueurs et gagnerait sûrement en intérêt et en public si elle était un peu élaguée pour en retenir l’essentiel.» Pari tenu. Le récit tient en cinq lettres et 291 pages. Chaque lettre est agrémentée d’une préface et le récit est illustré par des dessins, des extraits de codex… Pour travailler le texte et les encadrés qui remettent dans le contexte histoirique certaines notions, Rémi Blanchet s’est associé à Terry David, archéologue et spécialiste du Mexique ancien.
Obsédé par l’idée d’évangéliser les Indiens
Dans sa première missive, Hernan Cortès semble obsédé par le fait d’évangéliser les populations locales et parle très peu de l’or. Cela arrive bien plus loin dans son récit. Etait-il vraiment en mission pour faire reconnaître Dieu et Jésus dans de nouvelles contrées, ou bien ses ambitions personnelles et l’envie de s’enrichir ont-elles fini par prendre le dessus ?
Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur son enfance et ses racines explique Terry David. «Hernán Cortés, enfant unique, naquit à Medellín, dans la province d’Estrémadure, au sein du royaume de Castille à la fin du XVe siècle. Il était issu de l’ancienne noblesse, tant du côté paternel que maternel. Plusieurs membres illustres de sa famille auraient participé à la Reconquista. Des deux lignées, tous revendiquaient la limpieza de sangre, c’est-à-dire la ‘pureté du sang’, un concept selon lequel tout chrétien se devait de n’avoir aucune ascendance juive ou maure. Ils vivaient dans une société marquée par un traumatisme collectif : celui de la conquête musulmane au début du VIIIe siècle. D’un point de vue religieux, cela explique probablement la volonté pour nombre d’hommes de cette époque — Cortés compris — de gagner leur place auprès de Dieu, de devenir des soldats de la foi, et de se faire les serviteurs zélés de l’Église.»
Plus loin dans le récit, Cortès affirme sauver Cempaola des griffes Moctezuma II. «Délivrés de cette tyrannie, je crois qu’ils seront toujours loyaux, car de mon côté, je les ai traités avec la plus grande bienveillance.» (p.50) Au fil de sa seconde lettre, il laisse entrevoir sa vraie nature, celle d’un homme dur, qui ne laisse rien passer. Il explique ainsi avoir fait prisonnier des Indiens venus à sa rencontre pour l’espionner. «Alors je m’enparai sur l’heure des 50 notables, leur fis couper les mains et les renvoyai à leur maître.» (p.61)
Fasciné par ce qu’il voit, vraiment ?
Alors qu’il continue son chemin vers Tenochtitlan et traverse de nombreuses villes, il en fait des descriptions élogieuses et semble totalement conquis par ce qu’il voit. «Un ordre parfait règne dans cette ville dont les gens paraissent sages et policés.» (P.66) Alors qu’on lui fait un cadeau, il continue ses descriptions laudatives. «Il me donna une douzaine de sarbacanes dont je ne pourrai dire l’élégante perfection.» (p.105) À tel point que l’on a l’impression qu’il est totalement sous le charme des Aztèques et des Mayas. À leurs propos, il écrit «que les habitants de ce pays me paraissaient beaucoup plus intelligents que ceux des îles» (p.212) et qu’ils ont un savoir-faire «extraordinaire» (p.254). Il n’hésitera cependant pas à en réduire certains à l’état d’esclaves : «Sans ce travail, les conquérants et les colons ne pourraient pas vivre» (p.212).
D’un côté il loue leur intelligence et leur savoir-faire, de l’autre il n’hésite pas à les asservir. Paradoxal. Alors faut-il le croire sur parole ? Sur ce point, Terry David est formel : non ! «Il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce que raconte Hernán Cortés. Tout y est réfléchi au millimètre près. Chaque action qu’il entreprend et chaque mot qu’il écrit sont pensés pour amener le lecteur à croire qu’il agit au nom de Dieu et de la Couronne de Castille, se présentant comme l’éternel serviteur de ces deux autorités.» Cependant, admet l’archéologue, il faut reconnaître que «Tenochtitlán ne laisse personne de marbre face à sa beauté esthétique et technologique. La capitale mexicaine se distingue par une organisation remarquable.» Laissons lui donc le bénéfice du doute quant au fait qu’il ait vraiement trouvé la capitale Mexica belle…
Cortès a-t-il fini ruiné comme il l’affirme ?
Alors que le conquistador déroule sa narration, la mort de Moctezuma II, la Noche Triste, la variole qui emporte de nombreux Indiens, on ne peut s’empêcher de penser que sans l’aide des habitants soumis aux Mexicas et qui voulaient se rebeller, il n’aurait jamais pu conquérir Tenocthtitlan et le Mexique. La tactique de Cortès illustre à merveille la maxime «les ennemis de mes ennemis sont mes amis».
Une fois les Mexicas et plus globalement les Mexicains tombés sous sa coupe, il s’arroge l’or, redistribue les terres. Pourtant, il affirme à plusieurs reprises être ruiné. «J’avoue avoir tiré des sommes considérables de la contrée, mais elles ne m’empêchent point d’être pauvre et endetté.» (p.289) «Faut-il admettre sa bonne foi, ou y voir une nouvelle tentative de manipulation destinée à accroître sa fortune ? Le doute reste permis», tranche Terry David.
Alors que s’achève sa dernière lettre, Hernan Cortès essaie une dernière fois de se faire bien voir de la Couronne d’Espagne et de louer ses victoires. «Quant à moi, je ne cesserai point de servir Votre Majesté. Il est impossible qu’avec le temps elle ignore mes services.»
Il mourra de maladie, en Espagne, en 1547. Alors qu’il revenait d’une expédition et était prête à en entreprendre une autre.
«A la conquête du Mexique», Lettres à l’empereur Charles Quint, Hernan Cortès, Éditions Voilier Rouge. 291 pages. 26,90 euros. Site officiel
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