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Chaque année, c’est le même rituel. Du 25 avril au 5 mai se déroulent les combats de Zitlala, au Mexique. Des hommes s’y battent à mains nues. Mais pourquoi ? Et d’où vient cette tradition ? Véronique Roussely, ethnohistorienne, a longuement enquêté sur le sujet.

Scène de bagarre à Zitlala (capture Youtube)
Scène de bagarre à Zitlala (capture Youtube)

Dès l’aube et jusqu’au coucher du soleil, les coups pleuvent entre adultes consentants. Parfois même entre femmes et enfants. Tous les ans, du 25 avril au 5 mai, le rituel se répète à Zitlala, ville située dans l’État du Guerrero. Des bagarres qui ont intrigué Véronique Roussely. L’ethnohistorienne en a fait son sujet de thèse, résumé et publié dans un livre intitulé «Les combats rituels de Zitlala au Mexique». Elle s’est rendu sur place à plusieurs reprises pour étudier le phénomène.

D’où viennent ces combats ?

Mais pourquoi les habitants de Zitlala et des environs de battent-ils ? Il s’agirait de combats propitiatoires à l’intérieur d’un rituel agricole «notamment pour infléchir ou présager la future récolte» (p.141). Appelés combats des Xochimilcas, ils ont pourtant peu de chose à voir avec les habitants de l’actuelle banlieue sud de Mexico, autrefois des guerriers assujettis aux Mexicas (p.154).

Selon des promoteurs culturels, ces combats dateraient du XVe siècle. À cette époque-là, Zitlala était une garnison militaire peuplée de nobles mexicas. Un jour il perdirent leur prérogatives pour devenir à leur tour tributaire de Moctezuma. Un contingent de guerriers xochimilcas fut envoyé sur place pour faire taire la rébellion, mais ils furent défaits par les Zitlaltèques. Véronique Roussely ne croit pas en cette version, trop parfaite pour être vraie (p.155).

Ce qui est véridique par contre, c’est qu’à l’époque préhispanique se déroulaient des cérémonies liées à la pluie et aux récoltes fin avril, début mai. Puis à l’arrivée des colons, le 3 mai est devenu le jour de la Sainte Croix. Un syncrétisme s’est opéré entre les deux croyances. Les combats rituels actuels, qui ne sont ni d’origine préhispaniques ni foncièrement catholiques (p.153), sont en tout cas calqués sur ce calendrier.

Une troisième explication lui est livrée lors de ses différents séjours sur place. «À l’époque de la Révolution, les soldats enlevaient et abusaient des femmes de la région. Les hommes ont donc décidé de se travestir en femme pour les défendre.» (p.156)

Au final la véritable origine de ces combats reste bien mystérieuse. «Il est un fait que le discours des origines des luttes des xochimilcas semble se chercher», note la chercheuse (p.156).

Comment se déroulent-ils ?

Les combats rituels prennent place au milieu de la rue, dans les champs. Très vite la foule entoure les combattants. Il n’y a que des coups de poings portés au visage (voir la vidéo). Les coups de pied sont interdits (p.144). Le combat s’arrête quand l’un d’eux ne ne peut plus combattre. Tout simplement. Au départ, ils se disputaient même a coup de pierre. Mais vu les dégâts occasionnés sur les maisons, cela a été abandonné dans les années 1980 (p.138) au profit des combats à mains nues.

«Tous les acteurs ont insisté pour dire qu’il n’y a ni haine, ni colère, ni rancœur dans les combats, c’est une expérience physique partagée», précise Véronique Roussely. Il n’y a aucune notion de compétition, ni même d’entraînement ajoute-t-elle. «On apprécie d’autant plus de se battre lorsqu’on le fait avec un ami», témoigne Andrès, instituteur. Récemment ces combats sont devenus une véritable fête et ils sont accompagnés de musique, danse etc.

Outre les combats à mains nues, on peut aussi assister aux combats de tigres. Bien qu’il n’y ait jamais eu de tigre au Mexique. Des hommes rêvetent un habit et des masques et se griment en tigre. Cette appellation et ce déguisement viendraient plutôt de l’ocelotl, un jaguar. Si les combats ont pris le nom et la figure du tigre, ce serait dû au départ à une erreur d’interprétation du missionnaire qui a fait la première traduction du mot en nahuatl vers l’espagnol. Lors de ces affrontements, les participants font usage d’une reata, sorte de massue de cordes tressées pour se frapper.

Vers un classement à l’Unesco ?

Ces dernières années, les combats rituels de Zitlala ont connu un nouvel essor lié à l’Unesco. Les municipalités se sont emparées du phénomène et ont tenté de le réguler (p.152). Un éventuel classement permettrait une plus large reconnaissance et serait donc une source non négligeable de revenus en attirant les touristes (p.119-120). De quoi faire perdurer encore un peu plus cette tradition.

Couverture du livre «Les combats rituels de Zitlala au Mexique» de Véronique Roussely
Couverture du livre «Les combats rituels de Zitlala au Mexique» de Véronique Roussely

«Les combats rituels de Ztilala au Mexique, se battre por gusto», de Véronique Roussely, paru aux Éditions L’Harmattan, 306 pages. 36,50 euros.