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Dans son nouveau roman, Camille Brunel nous amène à «Ecatepec», ville de 1,6 millions d’habitants proche de Mexico. Ici la violence est partout, mais la résistance s’organise…

Couverture du livre «Ecatepec» de Camille Brunel
Couverture du livre «Ecatepec» de Camille Brunel

Ecatepec de Morelos est une ville accrochée à la flanc de montagne dans la banlieue de Mexico. On la voit depuis l’autoroute, ses maisons colorées s’étendent à perte de vue. Au-dessus d’elles passent le fameux téléphérique, appelé Mexicable, qui permet de relier le centre de la capitale. C’est cette ville de 1,6 millions d’habitants qui sert de décor au dernier roman de Camille Brunel. L’auteur de «Après nous les animaux» revient avec un livre ancré dans la triste réalité mexicaine. En effet, Ecatepec de Morelos a vu sa violence exploser ces dix dernières années. Les féminicides et les enlèvements y sont légion. La violence est partout, à chaque coin de rue. Maria qui est née et vit toujours ici ne veut pas se taire. Rebelle, elle s’engage pour la cause des femmes et des animaux, à ses risques et périls. Elle va un jour croiser la route d’un narco, César. Que va-t-il se passer ? Vont-ils arriver à se comprendre ? Va-t-il la tuer ?

Comme dans son précédent livre, les animaux sont ici considérés comme des personnages à part entière. On s’y perd parfois un peu car il y a beaucoup de prénoms à retenir et les animaux sont au même niveau que les humains. Chacun à un rôle à jouer…

Mayazteque : Comme pour «Après nous les animaux», dans «Ecatepec», les animaux ont des noms et sont des personnages à part entière de l’intrigue. A quel point cela est-il important pour vous de personnaliser les animaux ?

Camille Brunel : Tous mes bouquins, essais compris (je pense en particulier à «l’Éloge de la baleine», qui aborde la vie intérieure des cétacés) vont dans le sens d’une banalisation, en littérature, de la notion de personne non-humaine. L’idée est toujours de détacher les animaux de la gangue symbolique où l’art a tendance à les enfermer : pour qu’ils soient réalistes, ils doivent être traités comme des personnes. Les gens qui vivent avec des chats ou des chiens ont cette intuition, que je cherche à étendre au maximum d’animaux possible dans mes récits. C’est une sorte d’anthropomorphisme positif : je cherche à mettre en valeur ce qu’il y a, et ce qu’il y a toujours eu, d’humain chez les animaux. Pour «Ecatepec», où il y a un nombre assez élevé d’humains par rapport à ce dont j’ai l’habitude, la règle était de faire en sorte qu’il y ait autant d’animaux…

Mayazteque : Quelle a été l’inspiration derrière l’histoire d’ «Ecatepec» ?

Camille Brunel : D’abord les récits de mon amie Mitzi, native d’Ecatepec. Nous étions en contact régulier pendant l’écriture ! Ensuite la campagne présidentielle française de 2022. Je regardais débattre Zemmour vs Mélenchon et je me suis dit qu’il faudrait réussir à mettre en scène ce dialogue entre deux visions du monde absolument opposées. Les discours violents et réactionnaires sont en augmentation aujourd’hui, à la mesure des discours progressistes qu’ils cherchent à combattre (qu’il s’agisse de parler des femmes, de l’écologie, des animaux), et j’ai voulu représenter ça en poussant le curseur à l’extrême : d’un côté quelqu’un qui pense qu’on peut tuer tout le monde, humains compris, et de l’autre quelqu’un qui pense qu’on ne doit tuer personne, animaux compris. Le récit est donc un mélange d’éléments biographiques brodés autour de cet échange central entre la végane et le narco. L’objectif étant de rendre de nouveau saillants les points les plus cruels des discours suprémacistes d’aujourd’hui, que l’usage a eu tendance à émousser.

Mayazteque : A travers ce livre, souhaitiez-vous aborder des problématiques actuelles comme la place de la femme dans la société ou bien encore la violence des narcos au Mexique ?

Camille Brunel : La violence des narcos, pas tant que ça. S’il y a bien une chose que j’ai retenu de mes deux mois au Mexique (et de mes trois jours à Ecatepec !), c’est qu’il ne sert à rien d’imaginer qu’on pourra en venir un jour à bout. J’ai vraiment voulu écrire le livre qu’auraient pu écrire les gens qui m’ont accueilli à Ecatepec. Ces gens-là ne se posent pas la question de la violence des narcos, ils vivent dans son ombre, ils n’ont pas le choix. On ne peut pas militer contre ça là-bas, sinon c’est la certitude de finir dans un canal d’eaux usées.

En revanche, à Ecatepec, j’ai découvert un réel militantisme féministe et animaliste. Et j’ai été sidéré par le courage de ces gens, majoritairement des femmes. Comme l’objectif était de parler de la banalisation de la violence à l’égard des femmes et des animaux, conséquence de schémas de dominations patriarcaux à la fois spécistes et sexistes (ce qu’expliquent les penseuses écoféministes comme Donna Haraway ou Carol Adams), j’ai simplement utilisé le Mexique comme métaphore du monde entier, France comprise. Donc oui, ça parle du Mexique, et c’est le Mexique le plus contemporain possible… mais l’objectif est de montrer que ce Mexique est à l’image du monde, et que c’est une représentation très fidèle du monde actuel.

Mayazteque : Y a-t-il une part d’autobiographie dans «Ecatepec» ?

Camille Brunel : Plus ou moins oui. Le Français est un peu moi. Mais pas tant que ça. J’avais surtout besoin de lui pour approfondir le personnage de María et rattacher le Mexique au monde, pour inscrire le Mexique dans notre réalité française contemporaine. En ce sens le Français d’Ecatepec est plus un outil qu’autre chose. Et l’histoire d’amour est squeezée pendant l’ellipse, avec la pandémie : ce n’est pas ce qui compte. Il y avait beaucoup plus d’autobiographie dans Après nous, les animaux, avec le petit xoloitzcuintle que la panthère Mitzli prenait sous son aile ! Ce petit chien c’était vraiment moi. Plus que le Français d’Ecatepec. En revanche, il y a beaucoup de biographie à l’exception de tout ce qui est lié à César Milán, qui est rigoureusement fictif, tous les souvenirs d’enfance et d’adolescence sont ceux de Mitzi.

Ecatepec de Camille Brunel, Alma Editeur. 235 pages, 18 euros. D’autres critiques du livre disponibles ici.