Facebooktwitterlinkedinmail

Dans leur nouveau livre « Adelitas » , Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire proposent une galerie de portraits de femmes combattantes durant la Révolution mexicaine. Interview avec les deux auteurs.

Couverture Adelitas
Couverture Adelitas

Ensemble, ils ont déjà (re)donné vie à Pepita, la femme du maréchal Bazaine. Déjà, un portrait de femme forte et qui sort des sentiers battus. « Définir une femme par son mariage, aussi prestigieux soit-il, nous paraissait injuste. Surtout parce qu’elle a démontré avoir une tête bien faite puisque c’est la Petite Maréchale qui conçoit le plan d’évasion de son mari et que pour le mener à bien, une bonne dose de courage de sa part a été nécessaire. Nous pensions donc qu’elle méritait une recherche en bonne et due forme » , nous disait au moment de la sortie du livre Rosario Acosta Nieva, archéologue mexicaine.

Avec Eric Taladoire, elle s’est cette-fois ci intéressée à la vie des femmes dans la Révolution mexicaine dans « Adelitas » . Là encore, il s’agit de femmes pour certaines méconnues, mais qui toutes ont eu une véritable influence sur l’Histoire. Le livre propose une galerie de portraits, tous plus étonnants les uns que les autres. Pour nous en parler, les deux auteurs du livre nous répondent d’une seule voix. Découvrez l’interview ci-dessous.

Mayazteque : En commençant le livre, j’ai évidemment de suite pensé à « Mercenaires, anarchistes et bandits en révolution » d’Eric Taladoire. Est-ce qu’on peut considérer « Adelitas » comme une suite du même sujet vu sous un autre angle : les femmes ?

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : À travers nos publications, il est évident que le Mexique est un sujet qui nous tient à cœur, et dans son histoire, la Révolution est un chapitre passionnant et inépuisable. Pour autant, parler d’une suite serait aller trop loin. Disons que nous abordons le même thème, mais sous un autre angle. L’étude de la Révolution mexicaine est vaste, et constitue un passage délicat, car c’est à la fois un conflit historique et un concept fondateur. De nombreux aspects demeurent presque tabous ou controversés, un peu comme la Résistance en France. En nous intéressant à des aspects spécifiques, tels que les étrangers dans « Mercenaires, anarchistes et bandits en révolution » ou les femmes, dans le présent livre, nous contribuons, à notre échelle, à recomposer le puzzle d’une période mouvementée et compliquée de l’histoire du Mexique.

Mayazteque : Dans le livre, vous dressez le portrait de dizaines de femmes différentes, laquelle vous a le plus marquée et pourquoi ?

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : À de multiples titres, toutes ces femmes sont remarquables, par leur dévouement, leur courage et les souffrances qu’elles ont endurées. Rares sont celles qui ont vu leur participation reconnue, souvent d’ailleurs de façon secondaire.

Bien qu’elles soient toutes dignes d’intérêt, celles qui nous ont le plus impressionné sont, sans doute, les soldaderas. Ces femmes qui ont survécu dans l’imagerie populaire en tant que groupe anonyme, n’ont pas laissé de souvenir dans l’Histoire, sauf dans les photographies de l’époque. Aucune ne repose dans la Rotonde des personnages illustres, le monument qui contient les restes des personnalités ayant contribué à la grandeur du Mexique. Pire encore, aucune d’entre elles n’est mentionnée dans les textes scolaires. Pourtant ces femmes, pauvres et illettrées, ont payé un lourd tribut pour la cause car elles ont perdu dans les batailles maris, enfants ou pères qu’elles avaient suivis pour en prendre soin car à l’époque l’intendance des différents corps révolutionnaires était inexistante. En suivant ces hommes, avec leurs maisons sur le dos, ces femmes couraient d’énormes dangers car elles se trouvaient sur le théâtre de la guerre sans aucune arme, ni possibilité d’auto défense.

A la fin de la Révolution, elles n’ont obtenu aucune reconnaissance officielle, notamment le statut de vétéranes qui leur aurait donné droit à une pension.

La documentation est rare, dispersée et souvent discutable

Mayazteque :  Vous écrivez p.130, « l’héroïne militaire n’est pas célébrée dans l’histoire officielle de la révolution mexicaine ». Cela a-t-il rendu vos recherches pour écrire ce livre plus compliquées ? Avez-vous eu peur à un moment donné de manquer de matière ? 

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : En effet, il est souvent difficile, sinon impossible, de documenter le parcours de la plupart des femmes qui ont participé à la Révolution dans n’importe quelle activité. Cette remarque vaut autant pour les soldaderas que pour les infirmières. On ne dispose souvent que d’un nom, d’une photographie, ou des mythes populaires dont les fondements historiques sont bancals. Il importe d’ailleurs de souligner que même des femmes qui ont joué un rôle majeur demeurent le plus souvent très mal connues, à commencer par Carmen Serdán, dont la maison fut ravagé par l’armée régulière, ou Sara Pérez, l’épouse de Francisco I. Madero –initiateur de la Révolution-. Leurs biographies se réduisent souvent à leur participation à un événement, sans accorder d’importance aux autres aspects de leur engagement. Si de telles personnalités ne bénéficient pas d’une historiographie suffisante, comment la femme-soldat pourrait-elle échapper à cette lacune ? D’autant plus qu’aucune faction révolutionnaire ne voulait de femmes dans ses rangs, sauf, peut-être, Emiliano Zapata qui était plus ouvert vis-à-vis de la gent féminine.

Dans ces conditions, la documentation est rare, dispersée et souvent discutable car entachée de misogynie. Leurs noms sont fréquemment incomplets, voire massacrés, à commencer par celui d’Adelita –l’infirmière qui prête son nom à notre ouvrage- et dont l’identité a fait l’objet de multiples discussions. Il nous a souvent fallu recouper plusieurs sources avant d’écrire la moindre affirmation sur chacune de ces femmes.

Le manque de matériel historique sur les combattantes dans la Révolution mexicaine était notre principale préoccupation et a constitué un sujet de réflexion avant de nous lancer dans ce projet. C’est pourquoi la phase de recherche a été aussi longue et parfois ardue, mais à toute chose, malheur est bon, nous avons appris énormément dans le processus et, finalement, nous sommes plutôt satisfaits du résultat.

Le colonel Robles est un personnage transgenre qui assume pleinement ce changement

Mayazteque : Le portrait du colonel Amelio Robles interpelle. De par la photo, mais aussi sa trajectoire de vie. Peut-on considérer qu’elle était à l’avant-garde en assumant être une personne transgenre ? 

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : Le colonel Robles est une exception dans ce que nous appelons le travestisme révolutionnaire, c’est-à-dire le fait que les femmes qui voulaient participer à la lutte armée en tant que combattantes devaient, pour la plupart, se déguiser en hommes pour être acceptées. Ce travestisme était provisoire, une fois la lutte terminée, ces femmes reprenaient leur apparence féminine.

Amelio Robles ne reprit jamais son statut de femme, il revint dans son village natal en tant qu’homme et imposa son identité masculine parfois à coups de pistolet, devant les habitants qui l’avaient connue jadis comme jeune fille. Il vécut en concubinage avec diverses compagnes, et plusieurs membres de sa famille proche ignoraient son sexe réel.

Dans ce cas, oui, le colonel Robles est un personnage transgenre qui assume pleinement ce changement.

Mayazteque : A-t-elle/il ouvert la voie à d’autres personnes au Mexique d’après vous ? 

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : Amelio Robles était si exceptionnel et si en avance dans le Mexique du début du XX siècle que son exemple n’a pas été suivi par ceux qui ne se sentent pas bien dans leur genre. Il est d’ailleurs symptomatique d’un état d’esprit machiste que le musée qui lui est dédié s’intitule colonelle Amelia Robles, en contradiction à tous ses souhaits. Ce thème est toujours délicat, et les personnes transgenres continuent à se faire agresser dans les rues des petits villages, même si dans les grandes villes du Mexique, elles peuvent se sentir plus libres, depuis quelques années. Nous pensons que Robles s’est imposé par la violence dans un milieu traditionnel réfractaire aux pratiques transgenres. Le prestige issu de sa participation à la Révolution a certainement contribué à se faire accepter.

Mayazteque : Peut-on comparer le colonel Amelio Robles avec les Muxes ? Y a-t-il des points communs ?

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : Les Muxes, c’est à dire les jeunes garçons vêtus et élevés comme des filles s’inscrivent dans une tradition spécifique à la culture de l’isthme de Tehuantepec, qui remonte à la période précolombienne. De ce fait, il s’agit d’un corps social qui fait partie constituante de la société zapotèque, sans vocation militante, et pour répondre à des besoins culturels spécifiques. A ce titre, Robles s’en différencie, même si ses origines du Guerrero –région voisine des Zapotèques- l’avaient peut-être familiarisé avec leur existence. Mais autant dans sa région que dans l’histoire du Mexique, Robles constitue une exception.

Oui, la Révolution initiée en 1910 se trouve à l’origine du mouvement féministe actuel au Mexique

Mayazteque : Peut-on dire que votre livre, au-delà de dresser le portrait de combattantes, dresse un portrait global des débuts du mouvement féministe au Mexique ?

Rosario Acosta Nieva et Eric Taladoire : À l’origine, notre intention était de comprendre et de souligner le rôle des femmes dans la Révolution. Mais, au fur et à mesure que nous avancions dans la recherche, nous nous sommes rendu compte que cette guerre fratricide qui a duré dix ans et dévasté le pays, a été pour les femmes une porte de sortie de l’espace privé alors qu’elles n’avaient, auparavant, que cette option. Le contexte mouvementé leur a donné plus de liberté : oui, la Révolution initiée en 1910 se trouve à l’origine du mouvement féministe actuel au Mexique.

Adelitas, les combattantes dans la Révolution mexicaine, de Rosario Costa Nieva et Eric Taladoire, paru aux Editions Cerf. 271 pages. 24 euros.