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Les Incas ne connaissaient pas l’écriture telle que nous l’avons en Occident. Il n’y avait pas de lettres, pas de manuscrits. Mais les Incas confectionnaient des quipus, ces bouts de fils attachés les uns aux autres, formant d’innombrables nœuds.

Quipu (Wikiepadia)
Quipu (Wikiepadia)

La première fois que j’ai vu un quipu, c’était dans une exposition à Paris. Impossible de me souvenir si c’était à la Pinacothèque de Paris, lors de l’exposition « L’or des Incas, origines et mystères » ou au musée du quai Branly. Peu importe. Je me souviens surtout d’être restée bloquée devant la vitrine, comme absorbée par cet immense cordelette de laquelle partaient des dizaines de fils colorés et remplis de nœuds. Je me souviens de l’amplitude du quipu. Il était très grand, les cordelettes qui en pendaient, longues. Je ne saurai dire de combien. C’était un spectacle hypnotique auquel je restais totalement étrangère. A quoi cela pouvait-il bien servir ? Et combien de temps cela prenait-il à faire ? Autant de questions auxquelles l’exposition n’apportait guère de réponses.

Un système d’écriture à part entière

Bien des années plus tard, me voilà à travailler sur un hors-série Incas pour le magazine Géo Histoire. Et cette question des quipus me tracasse toujours. Comme je dois interviewer des chercheurs pour mes articles sur les rois Huascar et Atahualpa, j’en profite pour leur poser la question. On sait que les nœuds faisaient office de comptage décimal. Mais est-ce que cela pouvait aller plus loin ? Les quipus sont-ils une forme d’écriture à part entière ? La réponse fuse de la part de Franck Garcia, docteur en archéologie à la Sorbonne, auteur du livre Les Incas (Ellipses) et membre de l’association ACERAP (Association Culturelle pour l’Etude et la Recherche en Archéologie Préhispanique). « Si vous acceptez l’idée que l’écriture n’est pas uniquement basée sur des lettres, alors évidemment les quipus sont une forme très originale d’écriture. » Même son de cloche du côté de Martti Pärssinen, spécialiste finlandais des Incas : « Pour moi, les quipus sont un système d’écriture. J’ai publié avec Kiviharju (Textos Andinos, 2004, 2010) quelque 800 pages de textes quipus. »

Changer notre point de vue occidental

Pour Franck Garcia, là n’est plus la question de savoir s’il s’agit d’une écriture ou pas. « Le problème est d’ordre psychologique. De dire que les quipus sont une forme d’écriture, alors qu’il n’y a pas de lettre, c’est dire qu’ils avaient (les incas, ndlr) l’écriture et donc ça veut dire reconsidérer ces populations. » En d’autres termes, ne plus simplement traiter les Incas, Mayas ou Aztèques comme des hommes sous-développés car venant d’un autre continent, n’ayant pas la même couleur de peau et faisant des sacrifices. « Il reste un certain nombre de clichés« , affirme l’archéologue sur ces civilisations que le monde occidental a du mal à considérer aussi évoluées à l’époque que pouvait l’être la leur.

Une étude difficile

« C’est un outil très polyvalent, ajoute Franck Garcia. Il ne servait pas seulement à la comptabilité mais contenait des informations beaucoup plus complexes. Dans les nœuds, les bergers mettaient des informations supplémentaires, par exemple un veau est malade. » D’ici peu, prédit l’archéologue, le débat va se déplacer sur la complexité des informations contenues dans les quipus. « Contiennent-ils seulement des noms ? Répondent-ils à des questions ? Ou est-ce que ça va beaucoup plus loin et on a un texte entier ? », s’interroge le chercheur.

Le problème reste que les scientifiques manquent de matière première pour faire plus de déductions. Les Espagnols ont brûlé bon nombre de quipus et on rencontre des problèmes de conservation pour ceux encore existants. Conséquence, il est difficile par exemple de lancer une étude à grande échelle pour comparer les types de nœuds, qui pourtant pourrait apporter beaucoup. « Cela reste un débat qui ne sera jamais résolu entièrement« , conclut le spécialiste.